Présentation du cycle de cours :
« Bouleversements climatiques, perte de la biodiversité, anthropocène, Effondrement, solastalgie… » Les questions, enjeux et catastrophes « écologiques » sont sur toutes les lèvres, ou du moins dans toutes les têtes, ne serait-ce que sous la forme d’un incompréhensible - et angoissant - déni… C’est que personne, au fond, ne sait comment faire face à une telle remise en question - aussi grave, globale, radicale - de tous nos modes de vie et de penser, de tout ce qui fonde et fait (dys)fonctionner notre civilisation postmoderne matérialiste. Et si face à ces impasses, chaque jour plus périlleuses et douloureuses, la réponse était - au moins en partie - du côté du spirituel ? Et peut-être même du religieux, puisque c’est ce dernier qui a - partout et toujours (du moins jusqu’ici) - incarné le spirituel auprès des masses humaines ?
A cet égard, le bouddhisme n’est pas en reste… D’une part, plusieurs penseurs et acteurs de premier plan de « la question écologique » (Arne Naess, Joanna Macy, etc) puisent dans le Dharma des ressources essentielles, alors que - d’autre part - de grandes figures bouddhistes (Thích Nhất Hạnh, le Dalaï Lama, le XVIIe Karmapa, etc…) font de la « cause écologique » un aspect clé de leur présence et de leur apport à ce monde en feu. Ecologie, démocratie, spiritualité et éthique bouddhistes auraient donc partie liée en profondeur ? Du « bouddhisme engagé » aux « éco-bouddhismes », tour d’horizon de ces interdépendances fécondes, prometteuses… et sans doute urgentes.
Contenu du cycle
"Bouddhisme, spiritualité et écologie :
vers des éco-bouddhismes ? "
Séance 1 : Bouddhisme et écologie, une introduction générale à l’interdépendance, entre science moderne et spiritualité traditionnelle - Philippe Cornu
Bien que l’écologie comme science moderne soit étrangère au bouddhisme dans ses textes traditionnels, l’éthique bouddhique, qui concerne tous les êtres animés, se soucie non seulement de l’homme, mais des autres vivants, visibles et invisibles, qui habitent l’univers comme nous-mêmes. C'est l’attitude de la compassion universelle qui englobe ainsi le monde animal, les êtres « subtils » comme les « esprits de la nature," et davantage encore. En outre, la notion de coproduction conditionnée des phénomènes se trouve au cœur du bouddhisme. Elle s'applique au monde phénoménal, tant aux êtres doués d’esprit qu’aux choses naturelles et à celles produites par l’homme. Cette notion, présentée comme une loi naturelle, rejoint l'interdépendance et l'éco-responsabilité chère aux écologues soucieux d’un environnement de qualité, sans lequel nous ne pouvons pas vivre.
Séance 2 : Bouddhisme et modernité : transcendance et transition écologique - Raphael Liogier
L'assimilation très actuelle du bouddhisme occidentalisé à l'écologie n'est pas fortuite. Nous vivons une époque qui exige des transitions majeures, en particulier dans notre rapport à l'écosystème physique certes, mais aussi dans notre rapport à l'écosystème psychique. Or le bouddhisme se présente aussi comme une écologie de l'esprit qui peut être aisément mobilisée en vue d'opérer les transitions dont l'humanité semble avoir besoin pour sa survie. Il y a certes beaucoup de fantasmes dans l'idée d'un écologisme bouddhiste naturel, mais il y aussi de vraies clés utiles et puissantes dans les concepts bouddhistes. Notre rapport occidentalisé au bouddhisme, s'il est parfois piégé par des illusions new-age, par les idéologies du développement personnel, peut en effet néanmoins nous permettre de repenser notre rapport à la transcendance, à la dimension nécessairement spirituelle et non exclusivement matérielle des transitions en cours.
Séance 3 : De Gandhi à Thích Nhất Hạnh, les "démocrates spirituels », prophètes d’une écologie intégrale, spirituelle et politique - Eric Vinson
Apparaissant en tant que telle au début des années 70, « l’écologie politique » semble une réalité bien récente à l’échelle historique… Pourtant, elle puise ses racines - indirectement, mais aussi parfois très directement - dans les parcours remarquables de bien des « démocrates spirituels » antérieurs, de Thoreau et Tolstoï à Gandhi, Lanza des Vasto, Jacques Ellul, Simone Weil ou Aldous Huxley… Une liste bien loin d’être exhaustive où figurent aussi tant de « bouddhistes engagés », du Dalaï Lama à Thích Nhất Hạnh. Et à travers ces « spirituels démocrates », « l’écologie politique » rejoint souvent les lignes de force (souci des limites autant que de l’infini, de l’interdépendance autant que d’un véritable accomplissement humain) des authentiques traditions de sagesse qui ont irrigué l’humanité depuis toujours. Elle peut même trouver ces dernières son socle le plus solide et fécond…
Critiques (radicaux) de la « civilisation technicienne » qui détruit la nature dans l’homme comme autour de lui, ces non-violents actifs portent un paradigme holistique, à même de réconcilier spiritualité et politique, tradition et modernité dans une synthèse véritablement humaniste. Un voie personnelle et collective fort prometteuse, pour être enfin en mesure de relever les périls mortels du présent et de l’avenir.
Séance 4 : Crise de la civilisation industrielle et défaut de spiritualité : le « sécularocène » au miroir du bouddhisme - Grégoire Langouet
Tout en découvrant l' « Orient mystique » au XIXe siècle, la modernité européenne voit se développer conjointement industrialisme, ravages écologiques et colonialisme. A cet égard, le processus de sécularisation (la « sortie de la religion ») peut alors être repensé comme « sécularocène » (Meziane), du fait des liens profonds existant entre destruction des traditions contemplatives et crise écologique globale. Si un certain retour du « spirituel » permet aujourd’hui de repenser plus justement notre relation à la Terre et au vivant, le recours aux traditions spirituelles, tel le bouddhisme, suffira-t-il pour répondre aux désordres écologiques catastrophiques en cours ? En quoi les doctrines et pratiques bouddhiques pourraient-elles être une ressource pour penser et agir en ces temps d’effondrement ?
Séance 5 : Émergence, croissance et effondrement, ou accepter le rythme naturel selon le Dzogchen - Mila Khyèntsé
Nous sommes très nombreux, désormais, à être affectés par la disparition rapide des milieux naturels et du vivant. En tant qu’êtres humains, nous avons pris conscience de l’impact que cet effondrement peut avoir sur notre santé, en général, et notre équilibre mental en particulier, à travers la notion de solastalgie, de plus en plus connue. Parmi les grandes traditions spirituelles de l’humanité, le Dzogchen souligne le rapport fondamental reliant les conditions extérieures et la réalité intérieure : le rythme naturel, commun au vivant et à notre esprit. Cela peut certainement être très utile pour nous aujourd’hui...
Séance 6 : Interdépendance et réalisation de soi : quand la spiritualité s'invite au coeur de l'écologie (profonde), ou la pensée et l’action fondatrice d'Arne Naess - Isabelle Priaulet
A l'heure de l'urgence écologique, « l'écologie profonde » met l'accent sur la nécessité de comprendre les racines (deep) de la crise écologique pour mieux lever les freins à une transition écologique authentique et durable. Elle inspire aujourd'hui de nombreux courants de l’écologie, incitant à associer conversion intérieure et transition extérieure. A cet égard, l’une des pierres d'achoppement réside dans notre incapacité à penser un « Soi relationnel », marqués que nous sommes par l'héritage cartésien d'une culture dualiste. A ce point se noue l'enjeu du dialogue entre l’écologie profonde et le bouddhisme, qui a beaucoup inspiré son fondateur Arne Naess (1912-2009), penseur et activiste norvégien reconnu aujourd’hui comme l’un des plus grands philosophes du XXe siècle. Et pourtant, la notion de "réalisation de soi" ne vient-elle pas téléscoper l'anatman bouddhique? Notre réflexion s’articulera autour de cette problématique, qui vient nourrir une réflexion plus large sur la nécessité d'une "ontologie relationnelle", celle de l"'écologie intégrale" prônée notamment par le Pape François.
Séance 7 : Le mardi 8 avril 2025 de 19h à 21h : Bouddhisme, écologie et spiritualité : Joanna Macy et le « travail qui relie » - Jean-Marc Falcombello
Universitaire et activiste écologiste américaine de premier plan, Joanna Macy est connue mondialement pour son travail pionnier à l'intersection du Dharma bouddhiste et de « l'écologie profonde ». Inspirant de très nombreuses personnes et collectifs, elle développe des pratiques de transformation personnelle et collective pour faire face aux crises environnementales, en s'inspirant des enseignements bouddhistes sur l'interdépendance et la compassion, dont « le travail qui relie ».
Dates des séances :
(Tous les cours passés sont visionnables en replay)
- Séance 1 - Le 1er octobre 2024 à 19h : Bouddhisme et écologie, une introduction générale à l’interdépendance, entre science moderne et spiritualité traditionnelle - Philippe Cornu
- Séance 2 - Le mercredi 16 octobre 2024 à 19h : Bouddhisme et modernité : transcendance et transition écologique - Raphael Liogier
- Séance 3 - Le jeudi 28 novembre 2024 à 19h : De Gandhi à Thích Nhất Hạnh, les "démocrates spirituels », prophètes d’une écologie intégrale, spirituelle et politique - Eric Vinson
- Séance 4 - Le mardi 4 mars 2025 à 19h : Crise de la civilisation industrielle et défaut de spiritualité : le « sécularocène » au miroir du bouddhisme - Grégoire Langouet
- Séance 5 - Le mardi 11 mars 2025 à 19h pour 1h30 : Émergence, croissance et effondrement, ou accepter le rythme naturel selon le Dzogchen - Mila Khyèntsé
- Séance 6 : Le lundi 17 mars, 19h à 21h : Interdépendance et réalisation de soi : quand la spiritualité s'invite au coeur de l'écologie (profonde), ou la pensée et l’action fondatrice d'Arne Naess - Isabelle Priaulet
- Séance 7 : Le mardi 8 avril 2025 de 19h à 21h : Bouddhisme, écologie et spiritualité : Joanna Macy et le « travail qui relie » - Jean-Marc Falcombello
Les enseignants :
Philippe Cornu, président de l’IEB, a étudié le bouddhisme sous la direction de maîtres du bouddhisme tibétain, nyingma et bönpo. Docteur en ethnologie religieuse, ancien chargé de cours à l’INALCO et professeur à l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCLouvain, Belgique) en bouddhisme, hindouisme et histoire des religions, il a publié des traductions de textes fondamentaux du bouddhisme : Longchenpa, La liberté naturelle de l'esprit (Seuil, Points Sagesse, 1993), Padmasambhava, Le Livre des morts tibétains (Buchet-Chastel 2009 et Pocket), le Soûtra du Diamant (Fayard, coll. Trésors du bouddhisme, 2001), Vasubandhu, Cinq traités sur l'Esprit Seul (Fayard, 2006). Il est aussi l'auteur du Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme (Seuil, 2001-2006), de l'essai Le bouddhisme, une philosophie du bonheur? (Seuil, 2013) et du Manuel de bouddhisme en 3 tomes (rangdröl, 2019). Il a aussi publié une Introduction à l'histoire des religions (rangdröl, 2016), ces deux derniers ouvrages étant en auto-édition.
Sociologue, philosophe, Professeur des universités à l’IEP d’Aix-en-Provence, Raphaël Liogier y a dirigé l’Observatoire du religieux de 2006 à 2014. Il est actuellement directeur scientifique de l'IAS (Institute for Advanced studies) et titulaire de la Chaire des Transitions à l’UM6P (Université Mohammed VI Polytechnique, Maroc).
Eric Vinson enseignant et journaliste, est docteur en Science politique et chercheur associé au GSRL (EPHE-CNRS), il enseigne le « fait religieux » à Sciences Po, à Paris-Dauphine et à l’Institut Catholique de Paris. Il a notamment publié, avec S. Viguier-Vinson, chez Albin-Michel : Mandela Gandhi : la sagesse peut-elle changer le monde ? (2018) et Jaurès le prophète, Mystique et politique d’un combattant républicain (2014).
Grégoire Langouet est doctorant est l'UCLouvain (Belgique), travaillant sur le néoplatonisme et le dzogchen. Il est également co-directeur des éditions Vues de l'esprit (lien: https://www.vuesdelesprit.org/), et membre actif de Dzogchen Today! (lien: https://dzogchentoday.org/) et Ultimate Care Project (lien: https://ultimatecareproject.org/).
Ancien enseignant chercheur à Paris Sorbonne et à l’INALCO spécialisé sur les études tibétaines, Mila Khyèntsé a été reconnu comme tulkou par un maître tibétain du Dzogchèn et du bouddhisme Vajrayana, Tertön Lobsang Dargyé Rinpoché, qui l’a intronisé comme régent-détenteur de sa lignée. Très engagé dans le dialogue inter-traditionnel, Mila Khyèntsé enseigne le bouddhisme tibétain et le Dzogchèn en Europe, en Asie et aux Etats-Unis. Au travers de nombreux projets, il essaie de rendre ce chemin traditionnel oriental accessible à la pensée contemporaine, en phase avec les besoins d’aujourd’hui. Mila Khyèntsé est le président d’honneur de l’Institut Khyentsé Wangpo, partenaire de l’IEB.
Diplômée de l’ESCP/EAP (1990) et de l’Institut de Science et Théologie des Religions (ISTR), Isabelle Priaulet a soutenu, en décembre 2018, une thèse de philosophie, publiée 2020, intitulée Penser les fondements philosophiques de la conversion écologique – Pour une écologie de la résonance. Membre de la Chaire Jean Bastaire (UCLY, Lyon) dédiée à l’écologie intégrale, elle a contribué, dans ce cadre, à plusieurs publications. Enseignant aujourd’hui dans différents établissements, dont l’ICP (Paris), elle dispose également d’une expérience professionnelle d’une quinzaine d’années en entreprise, dans l’univers de la RSE et de la finance éthique notamment. Également enseignante de Qi Gong, elle s’efforce de créer des liens entre écologie, spiritualités et management.
Journaliste culturel à la Radio Suisse Romande, J.-M. Falcombello devient dès les années 80 un disciple proche du maître tibétain Lama Teunsang (mort en 2023). Interprète en langue tibétaine, il se met au service de la transmission orale des enseignements, ce qui lui permet d’étudier les grands textes classiques de la tradition Kagyupa. Ayant effectué la retraite de trois ans, il est aujourd’hui président de l’Association du centre bouddhiste de Montchardon (France) et se consacre actuellement au Centre d'études du bouddhisme tibétain de Genève (CEBT, Suisse).